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La performance avec un S...

PERFORMANCE AVEC UN S …

La performance de la rencontre.

Lorsque j'ai vu Félix pour la première fois, j'ai pensé que je n'aurai jamais de contact avec lui. Ce qui se passe dans le for intérieur de cet adolescent n'est pas compréhensible pour moi. Chez Félix, je nage en eau trouble, tantôt calme, tantôt obscure. On note une altération marquée dans le comportement des jeunes autistes, non verbaux essentiellement. Les signes habituellement destinés à la communication, comme le contact visuel, les mimiques prennent pour eux un autre sens et il est fréquent que l'agressivité apparaisse au détour de la relation ou que les bruits, les coups sur les murs soient des tentatives de dire...

Avec Félix, je pense que de temps en temps, je rentre en connexion avec lui. Il me rend capable d'interpréter ces informations, de donner un sens à ces bruits. J'ai établi une relation de confiance avec lui, très furtive et avec beaucoup de simplicité. Cet isolement du jeune, dans son autisme, mais aussi dans sa chambre me perturbe: c’est comme si je nageais des heures sans m'arrêter.

 

La performance de l'abstinence.

Félix est venu me dire aussi quelque chose sur moi-même car je suis une personne qui aime énormément parler, qui aime le toucher, le contact en général. Mais pour travailler avec Félix et d'autres adolescents autistes, j'ai été obligée de prendre énormément sur moi, peut-être un combat personnel, en tout cas une réelle performance personnelle : ne pas parler, ne pas toucher, ne pas regarder dans les yeux…

Je me pose souvent la question, comment dois-je réagir? Pourquoi, ne dois-je pas intervenir dans sa chambre malgré le fait que je sente qu’il a besoin d’une présence.

On peut aussi s'interroger sur le véritable questionnement qui nous est adressé par le bruit, les coups sur les murs, l'eau qui coule. Félix, de temps en temps, fait du bruit, joue avec l’eau, tape très fort.

J'essaie de ne pas me laisser envahir par mon jugement trop cartésien. Alors, pourquoi, avec moi, Félix reste calme quand je rentre dans sa chambre avec prudence, quand je sens qu'il m'appelle.

Est-ce ma taille, mon odeur, peux être sucrée?

La reprise de son souffle, de sa respiration, que j'écoute et qui sont autant de signes qui font lien entre nous!...

Ou peut-être le fait d’être une femme… Ou ma grande taille ? Alors, faut-il mettre des échasses à tout le personnel, des talons parce que la hauteur de l'autre serait un critère d'apaisement pour lui?

Comment un jeune peut nous percevoir, mais aussi nous comprendre?

 

La performance professionnelle.

 

De plus mon métier, aide-soignante de nuit, m'amène à VIVRE A CONTRETEMPS, à soigner dans l’ombre et le silence, à faire face à l’urgence, à n’apercevoir l’équipe de jour que très furtivement, à gérer l’angoisse des jeunes, seule, la nuit… telle est la performance professionnelle ordinaire de mes nuits. Être seule, parfois bien seule…

Être au carrefour des bruits, du noir, des angoisses, des inquiétudes des adolescents…

Le travail de nuit est-il vraiment un service à part ? Le travail des veilleuses de nuit est-il moindre que celui du personnel de jour? Pour moi tout cela devient difficile à gérer !

Mais en même temps, il y a tellement de reconnaissance envers ces jeunes que tout a été très simple. Je puise dans mes ressources personnelles pour nourrir le collectif : un travail fait à plusieurs autour de Félix, avec Félix...

Je pense que j'ai réussi à établir une relation de confiance entre lui et moi, aussi avec d'autres jeunes…

Cette présence qui doit être de qualité, empreinte d’empathie, de sens, et d’écoute permanente.

 

La performance collective.

 

*Continuer, vient du latin “continuare” (de la famille du verbe ”continuere ") au sens de tenir*. Tenir ensemble, la continuité des soins de jour et de nuit nécessite une organisation, un système d'information et de communication.

L'ancienneté que j'ai acquise m'a donné une compétence dans le travail de nuit.

Je ne dis pas que je peux faire ce que je veux, je suis toujours dans le collectif, la communication avec mes collègues de jour et le respect de ma hiérarchie.

Pour moi, la question de la solitude passe par la communication avec les autres, ceux et celles qui travaillent aussi avec Félix. Ce questionnement est toujours en vigueur, cette alternance de solitude et de communication est une caractéristique de mon travail.

Je sais qu’il y a risque de noyade quand je rentre dans la chambre de Félix, la nuit...mais mon for intérieur me dit de continuer! Rentrer dans sa chambre juste pour voir qu’il est bien me rassure!... Le fait qu’après mon départ, après lui avoir mis simplement une couverture, l’avoir recouché et l’avoir vu sourire de suite ou s’endormir paisiblement, me rend plus motivée pour continuer avec l'équipe de jour un travail plus profond, ensemble, collectivement.

Mais comment l’équipe de jour, mais aussi celle de nuit, peut analyser mon geste qui va à l'encontre du protocole, de ce qui a été décidé collectivement? Ne pas rentrer dans la chambre de Félix, seule, la nuit....

Où est ma bouée? Continuer de discuter ensemble, collectivement, pour Félix.

Un dialogue où chacun pourrait s’exprimer, sans dissocier l’aspect technique de l’aspect relationnel ; le non verbal joue aussi son rôle !... Travailler la nuit c’est

 s'exposer à une relation forte sur le plan de l’affectivité, de la confiance, de la réassurance, de la vérité et de l’honnêteté.

C'est une manière d’écouter le jeune, d’entendre ce qu’il dit ou ne dit pas au travers des bruits, des sons, des silences qui sont aussi des cris.

C'est quoi la performance au fond?

Lors d'un match de rugby un ami répond à un compliment :

« Je n'aurais jamais marqué de points, si on ne m'avait pas passé le ballon ».

Jolie petite leçon de rugby, qui, appliquée dans nos vies professionnelles pourrait favoriser la cohésion et la collaboration. Une telle remarque de mon ami est un exemple de plus, bienvenu pour travailler avec mes collèges de jour et surtout pour leur passer les transmissions de ma nuit, pour qu'elles puissent continuer à travailler avec les jeunes.

Derrière cette apparente tautologie, c'est une belle conscience du rôle du collectif et de la réussite qui se cache. Mais pas seulement ; en exprimant cette responsabilité collective, c'est aussi toute la conscience que la performance passe par la reconnaissance claire de l'importance de chacun.

Je dis cela, car je fais un sport de natation en compétition, et le fait de faire des nuits depuis plusieurs années, me rappelle à tout moment, que nous devons organiser des relais avec mes amis, c'est un peu comme au travail.

Il y a cette humilité qui consiste à reconnaître toute la part de responsabilité de chacun d'entre nous, dans une réussite collective, au lieu de s'approprier la gloire et d'être celui qui réussit, au final. C'est une modestie qui est au bénéfice de la communauté de mon unité de travail!

Il faut reconnaître que la participation de chaque équipe, de chaque individu est essentielle à une sacrée compétence relationnelle dont les bénéfices en terme d'esprit d'équipe profitent à chacun. Avec l'ancienneté dans le travail de nuit j’ai appris la patience, j’ai appris à attendre que l'équipe adhère à ma réflexion sur un jeune, à prendre du recul, à respecter le travail de mes collègues.

Je m'aperçois que le fait de ne pas parler la nuit est de plus en plus facile ; j'ai bien compris comment je devais fonctionner. Alors, comment peut-on, dans les conditions actuelles allier efficacité, éthique personnelle et communication sur notre travail ?

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